De tous les visages que peut prendre le fantastique, celui du fantastique théâtral est le plus saisissant, car il matérialise et fait parler, devant le spectateur même, les créatures surnaturelles qu'il redoute : Erinyes, spectres, diables, revenants. Mais la réussite apparaît d'autant plus grande que, par essence, le théâtre est le lieu de la connivence entre le spectateur et ses monstres intimes. En effet le jeu de la catharsis fait qu'il ne sait pas jusqu'à quel point il se trouve protégé du spectre ou du diable auquel il voit le héros confronté. Est-on bien sûr que les Erinyes ne menacent qu'Oreste ? Les contemplateurs des premiers drames grecs en étaient si peu certains qu'ils prenaient la fuite. La culmination, cependant, de l'effet fantastique au théâtre se manifeste parfois de façon plus subtile et plus redoutable, en actualisant, par exemple, la complaisance de l'homme à se laisser séduire par le miroir d'un autre lui-même qui aurait les prestiges d'une surnature. C'est le miracle du Faust de Goethe qui donne au pacte avec le diable sa forme moderne. Mais l'espace théâtral sert aussi, grâce à son merveilleux spécifique, à \" ramener l'ordre des anciens jours \" : même dans le rituel naïf du merveilleux médiéval, où la distribution de gaufres fait partie du spectacle, le spectateur peut croire, à un moment donné, revivre au temps du Christ. A. BC